La méditation en pleine conscience : une religion qui ne dit pas son nom
par Anne Morelli, le 28 février 2023
Anne Morelli est historienne, professeure honoraire de l'ULB, auteure de « Principes élémentaires de propagande de guerre (utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède...) » (éd. Labor, 2001). Elle s'est spécialisée dans la critique historique appliquée aux médias modernes. Son livre a été traduit en néerlandais, italien, espagnol, allemand et japonais. Il a été réédité avec des ajouts en 2006 et donne lieu à nombre de débats, dont le dernier tout récemment : « Ukraine: réalités et propagande » à écouter ici: https://www.investigaction.net/fr/guerre-en-ukraine-realites-et-propagandes/
Anne Morelli propose ci-dessous une analyse du livre d’Élisabeth Martens, « Méditation de pleine conscience, l'envers du décor » (éd. Investigaction, 2021).
Les magazines et revues ne cessent de vous le marteler, il faut « prendre du temps pour soi », « se recentrer sur soi » et méditer.
Mais la méditation à la mode n’est plus la ruminatio à partir de L’Imitation de Jésus-Christ ou d’un autre texte de la piété chrétienne.
Pour méditer actuel, il faut comme le coureur cycliste Remco Evenepoel, comme les vedettes du show business ou les malades de l’Hôpital Sainte Thérèse de Charleroi, pratiquer la mindfulness ou méditation de pleine conscience (Le Soir du 6 octobre 2022).
Une religieuse de la paroisse Sainte Suzanne à Schaerbeek assure(1) que cette pratique méditative s’inspire de la prière chrétienne, une « coach » conseille d’utiliser la pleine conscience pour éduquer les enfants de 7 à 12 ans(2). Cette technique, diffusée aussi dans les milieux financiers, serait une réponse aux douleurs chroniques telles que la fibromyalgie et éviterait les rechutes dépressives(3).
Les pratiques de pleine conscience connaissent un tel succès que l’ULB elle-même accueille l’association « Emergences » qui les diffuse(4) après avoir touché les autres niveaux d’enseignement et les entreprises. Son Hôpital Erasme organise aussi un programme de mindfullness.
De nombreuses multinationales organisent des sessions régulières dans leurs bureaux, qui déboucheraient le plus souvent sur une implication plus grande des employés et contribueraient à prévenir leur stress.
A l’image de ce qui se passe chez Google, où plus d’un millier de travailleurs sont passés par ces sessions d’entraînement, de nombreuses sociétés auraient vu l’enthousiasme de leurs employés et leur rythme de travail s’améliorer suite à ces méditations qu’il est possible de suivre en présence ou sur une application, toujours contre paiement évidemment.
Bref, cette panacée universelle est maintenant connue - et admise - du public le plus large et se prétend « totalement laïque et dénuée de toute considération religieuse ou philosophique. »(5)
Avant que de laisser cette pratique méditative envahir les écoles, les hôpitaux et les milieux professionnels, il est bon de s’informer sur les origines et le développement de cette « pleine conscience ».
Le livre d’Élisabeth Martens(6) nous en donne l’occasion.
L’auteure est une biologiste issue de l’ULB, passionnée de bouddhisme. Elle a passé trois ans en Chine pour y étudier la médecine traditionnelle et elle pratique quotidiennement la méditation.
Ce qu’elle remet en question dans son ouvrage n’est pas le bénéfice que la méditation peut apporter à des souffrances psychosomatiques mais le mouvement de la pleine conscience dans ses aspects notamment politiques, religieux et de business, soutenus par ses leaders.
La Mindfulness a été introduite aux États-Unis par Jon Kabat-Zinn, beau-fils du célèbre Howard Zinn auteur de l’ Histoire populaire des États-Unis (que j’ai fait lire à des générations d’étudiants !).
Jon est biologiste et hippie. Il se tourne vers un maître bouddhiste, venu en Occident enseigner la méditation.
Pour l’auteure, le bouddhisme a trouvé avec la mindfulness une occasion magnifique de pénétrer les instances économiques mais aussi politiques (plusieurs parlements) des pays industrialisés.
Car, malgré l’auto-proclamation de laïcité, c’est bien du bouddhisme qu’il s’agit.
Le bouddhisme est bien une religion
Les pratiques de pleine conscience sont en effet des pratiques méditatives Vipassana issues des traditions bouddhistes et qui sont enseignées par toutes les écoles bouddhistes, quelles que soient leurs divergences.
De nombreux adeptes de la pleine conscience ne sont pas informés de l’origine bouddhiste de leur pratique et que ne mentionnent d’ailleurs pas de nombreux livres ou sites.
Qui a voyagé en Orient a pu constater le caractère absolument religieux du bouddhisme avec ses prêtres, ses temples, ses offrandes, ses dogmes (le nirvana, le karma, la « réalité ultime » …), ses prétentions de salut, ses Bouddhas déifiés et ses fanatiques déchaînés (comme en Birmanie) contre les tenants d’autres religions.
Mais, dans la version occidentalisée, le bouddhisme séduit des intellectuels auxquels il se présente comme une « spiritualité athée ».
L’au-delà y est pourtant présenté comme une délivrance par rapport à la vie sur terre et le fidèle se dissout dans la « conscience universelle ».
Il s’agit d’échapper à la Roue des existences sans fin …
Le bouddhisme, pas plus qu’une autre religion, ne repose sur des observations vérifiables et il implique donc la foi.
Le « Mind and Life Institute » de Jon Kabat-Zinn a pour président d’honneur le dalaï-lama et vise le monde scientifique et médical occidental pour propager en Europe (avec le financement notamment de la Commission européenne), la pleine conscience.
Le mouvement de la pleine conscience,concrètement impliqué dans le bouddhisme, est devenu le soft power du néo-bouddhisme occidental qui progresse à vive allure, sans grandes résistances.
Il a su s’adapter à la demande et « oublier » ses gourous, ses démons, ses miracles, la naissance miraculeuse de Bouddha, ses pouvoirs surnaturels …
La plasticité du bouddhisme a permis son implantation progressive en Occident depuis le siècle des Lumières. Les intellectuels anticléricaux en retiennent au XIXe siècle le mythe tibétain diffusé par la « Société théosophique » d’Helena Blavatsky, un mythe repris dans le cadre de la guerre froide.
Le dalaï-lama joue dans le cadre de la guerre contre la Chine un rôle essentiel, qui lui permet en outre d’assurer son expansion à l’Ouest et de multiplier ses fans.
L’auteure rappelle la proximité de ce mythe tibétain avec les théories du national-socialisme et les méthodes du « Tibetan Youth Congress », béni par le dalaï-lama préconisant la violence, le sexisme et le racialisme.
Chez les lamas, comme dans bien d’autres clergés, les scandales financiers et sexuels sont nombreux, sans entraîner de réaction du dalaï-lama.
La pleine conscience promet d’apporter bien-être, empathie, amour, paix et bonheur.
Les revenus de cette industrie s’étalent en millions de dollars et enregistrent des chiffres d’affaires considérables. Sans burn-out et maladies psychosomatiques, ce commerce - fait d’instituts, centres de relaxation ou écoles de méditation - s’effondrerait.
Libre à chacun de ne prendre que la part « philosophique » du bouddhisme et de pratiquer la méditation Vipassana.
Mais il faut savoir que le bouddha athée est une interprétation très particulière du bouddhisme.
Comme le conclut Elisabeth Martens : « Ignorer ses aspects cultuels et ses dérives historiques c’est rester sciemment aveugle aux conséquences possibles de la mainmise du bouddhisme sur notre vie et notre société. Le bouddhisme est autant à interroger que n’importe quelle autre religion, il n’a échappé à aucune des dérives propres aux institutions religieuses, ni en Asie ni chez nous »(7).
Notes :
(1) |
RTBF, 23 décembre 2022 |
(2) |
Femme d’Aujourd’hui, 22 décembre 2022. Présentation de son livre-carnet pour enfants |
(3) |
Le Soir, 8 octobre 2022, article de Pauline Martial « La mindfulness, bénéfique pour le corps et l’esprit » |
(4) |
Le centre de formation continue « Santé et sciences de la vie » de l’ULB propose une formation à la pleine conscience, certifiée par l’Université |
(5) |
Le Soir, idem |
(6) |
La méditation de pleine conscience – L’envers du décor, Investig’Action, 2021, 279 pages |
(7) |
Op. cit. p. 86 |