Les Six sons thérapeutiques taoïstes

Conférence à la Bellone dans le cadre de « La semaine du son » à Bruxelles, 24 janvier 2011

Par Elisabeth Martens

 

« Tout est son » disent les anciens de différentes traditions, « nada brahman » en sanskrit.

Ils voulaient sans doute désigner par là l’état de vibration dans lequel se trouve toute chose de l’univers.

En effet, toute matière, inerte et vivante, est parcourue de flux de particules : électrons, neutrinos, et autres bosons, mais aussi de flux ondulatoires. Ce sont alors de petites quantités de vibrations énergétiques ou quantum, des packages énergétiques, par ex., les photons qui voyagent à travers la matière.

Ces flux particulaires et ondulatoires :
-d’une part assurent la cohésion de la matière par les ponts qu’ils installent entre noyaux atomiques et nous permet d’appréhender la matière comme ayant un volume, un poids, une masse
-d’autre part, ils ouvrent des chemins de conduction privilégiés au sein de la matière : des courants électriques et des marrées énergétiques tout aussi réels que la masse, mais de l’ordre subatomique donc invisible

Matière visible ayant masse, matière invisible ayant mouvement, en Chine, on a signifié de longue date cette dualité de la matière par un caractère : Qi 氣 Ce caractère combine deux modules, l’un représente le riz en gerbe, massif, particulaire, alimentaire, un denrée sûre en Chine. L’autre représente des volutes de vapeur qui s’élève en ondulant du riz quand on le cuit. L’un vaut pour le mouvement (déplacement sous forme d’ondes), l’autre pour la masse (de la particule), la matière Qi pouvant prendre l’une ou l’autre forme selon les conditions du milieu.

 Le Qi des anciens présentait déjà cette dualité ou dialectique dont les astrophysiciens parlent aujourd’hui. Michel Cassé un astrophysicien français contemporain exprime ainsi cette dualité : « deux images s’affrontent perpétuellement dans la lumière et la matière élémentaire. L’une est le grain, l’autre est l’onde. Le grain, ou particule, apporte sa ponctualité, l’onde apporte son flou. Les O-P (onde-particule) se propagent comme des ondes et interagissent comme des particules » (dans « Energie noire, matière noire », p.38, Ed. Odile Jacob)

 Pour la Chine antique, le Qi est à la fois masse et mvt, il est un seul et même phénomène qui est responsable de la diversité de tout ce qui existe sous le ciel, dans l’univers, les « wan wu » : « le Qi est un et ses manifestations sont multiples », dit-on en mtc. Zhangzai au 10ème PC reprend cette idée : « tout dans l’univers est constitué par le Qi. Les hommes et toutes les choses ne sont formés que d’une seule et même substance »

 C’est de ce Qi dont il s’agit dans les pratiques de Qigong. Le terme « qigong, 气功 » est relativement récent. C’est au cours du 20ème siècle qu’il a été choisi pour désigner à un vaste ensemble de pratiques de santé développées au cours des deux derniers millénaires par les écoles taoïstes. « Gong » signifie avoir une certaine habilité à faire quelque chose, avoir « l’art de… ». Qigong est l’art de conduire le Qi vers une cible déterminée. Dans les pratiques d’arts martiaux internes, comme le Qigong, la cible est en nous-même : elle peut être une pathologie, un blocage psychique, une douleur, une relation conflictuelle, un vieux fantôme, etc. toute sorte de choses qui nous empêchent d’avancer, d’évoluer.

Le « Huangdineijing » (une compilation médicale du 3ème Ac) va plus loin dans l’appréhension du Qi : « Le Qi ne peut se voir et se comprendre qu’à travers des modifications matérielles », sous-entendu : il est matière invisible, ondulatoire, et il se rend visible à partir du moment où il acquiert une masse, où il devient particulaire. Le Traité de médecine ajoute : « l’être vivant ne doit pas être compris comme une matière animée par le Qi. C’est le Qi qui s’oriente, et la matière, elle-même énergie, s’anime pour donner le vivant »

Le « Qi s’oriente, il devient matière, puis matière vivante » : il s’agit bien là du processus de l’évolution. Toute matière, inerte et vivante, est du Qi, elle est à la fois onde et particule.

Toute masse est en état de vibration. C’est ce que l’Inde antique avait perçu quand elle disait : nada brahman ! ce qui pour la Chine était : « tout est Qi ».

Ces mouvements ondulatoires donnent au vivant un rythme ou biorythmes. On les observe aux différents niveaux du vivant : cycles de divisions cellulaires, rythmes neuronaux, cycles endocriniens, rythme cardiaque (systole-diastole), respiratoire (inspir-expir), cycles ovariens ; horloge circadienne (jour-nuit) à laquelle se superpose des marées énergétiques de deux heures dans le circuit des 12 méridiens principaux (chemins privilégiés du déplacement de l’énergie à travers les organismes vivants) ; cycles annuels avec la floraison des plantes et la migration des oiseaux synchrones avec les saisons, mais aussi cycles des sphères organiques décrites par la mtc qui connaissent des pics d’activités selon les saisons, …

Les biorythmes sont redécouvert aujourd’hui chez nous, et reçoivent des modèles mathématiques qui vont permettre de mieux les décrire et de les quantifier. Les chinois ont très tôt mentionné ces biorythmes, mais ils ne les ont pas traduit en formulation mathématique. Par contre, ils ont observé leur mouvement d’alternance, de type in-out, comme dans la respiration par ex., et leur ont donné un emblème générique : le yin-yang qui résume l’oscillation du vivant. « Yi yin yi yang zhi wei dao, 一阴一阳之谓道une fois yin une fois yang tel est le dao, ou telle est la régulation du vivant ».

Ces mouvements alternants yin-yang sont très présents dans un art martial interne proche du Qigong mais plus connu chez nous : le Taijiquan. Plusieurs choses différencient ces deux arts. La plus évidente, c’est que dans le Taijiquan, on apprend une suite de mouvement, yin, yang, qui s’enchaînent l’un l’autre. La mémoire corporelle est importante. Alors que dans le Qigong, ce sont des exercices indépendants les uns de autres qui combinent la détente, la respiration, la précision du mouvement, la conscientisation et le plaisir. Mais, dans tous les arts martiaux internes, le principe est le même : « yang sheng gong , 养生功 » ou « l’art de nourrir la vie » par une mise en phase entre le pratiquant et son environnement. Or, notre environnement est un bouillonnement d’ondes électriques, électromagnétiques, sonores qui se mêlent et s’entrecroisent, c’est un réseau complexe de vibrations diverses qui se répondent, s’entrechoquent… et dans lequel on est sensé voyager sans perdre l’équilibre et surtout sans perdre le rythme !

 

Texte de Jean Levi, dans « Propos intempestifs sur le TChouang-Tseu », p. 62, Ed. Allia
Texte de Jean Levi, dans « Propos intempestifs sur le TChouang-Tseu », p. 62, Ed. Allia

 

Chaque être humain est lui-même un vaste champ vibratoire : chaque partie de nous-même (organes, tissus, squelette, L.O...) a sa propre fréquence vibratoire. Ensemble ces différentes fréquences forme une composition plus ou moins harmonieuse, en tout cas une partition musicale fort complexe qui pour certains ressemble à une morceau de musique contemporaine assez chaotique, proche du tohubohu primordial. Pour d’autres, il s’agit d’une symphonie pastorale, ou une impro de jazz noctambule.

Mais imaginez qu’un instrument de l’ensemble musical soit désaccordé ou qu’un musicien ait oublié sa partition au vestiaire, c’est alors tout l’orchestre qui chavire, le concerto se prend le pied dans l’escalator… cela crée un sérieux malaise parmi les musiciens, une certaine perplexité s’installe dans le public qui peu à peu se transforme en consternation…

On se trouve facilement désarçonné devant une personne qui nous annonce qu’on lui a découvert un diabète, une tumeur au cerveau, ou qu’un doit l’amputer d’un sein, ou d’une jambe… Il se sent déphasé, et son état déphasé nous déphase ; on perd pied, on perd le rythme.

Un organisme, un organe, un tissus, un ensemble de cellules qui perd sa vibration ou sa résonance naturelle est en dérégulation biochimique, ce qui peut générer une dérégulation dans son voisinage et de proche en proche dérégule l’organisme, qui lui-même dérégule son entourage… Cela peut aussi aller dans l’autre sens : un environnement dérégulé, que ce soit par la pollution sonore et autre, le dérèglement climatique, le trop plein d’infos, ou bien, plus modestement, par les changements d’heure qu’on subit deux fois par an, l’organisme peut se déréguler, perdre le rythme. Au niveau organique, puis cellulaire, les fréquences sont perturbées, dans les canaux énergétiques, ça bouchonne.

Les thérapies par le son présentent alors un recours. Elles se basent toutes sur le principe de résonance cellulaire ; ce sont diverses méthodes pour qu’un organisme, ou un organe, ou un tissus, retrouve sa vibration naturelle par la projection d’un son, donc par la mise en résonance entre la matière à traiter et des vibrations de l’air ou ondes sonores.

Les thérapies par le son sont variées.
- les plus actuelles font intervenir des instruments hautement performants, par ex. un émetteur à ultrasons pour dissoudre des calculs biliaires ou rénaux ; mais aussi des instruments qui émettent des ondes à fréquences proches de celle du cerveau (de 0.5 à20hz : du sommeil le plus profond et l’éveil, puis des ondes gamma 30 à 80hz que l’on observe lors de moment d’intuition, d’illumination, de soudaine intégration d’idée et d’expérience). Cette thérapie d’entraînement sonique vise à rééquilibrer les deux hémisphères cérébraux pour favoriser le sommeil, la concentration, l’attention.
- des thérapies par le son plus anciennes font intervenir des instruments de musique, ou divers objets de percussions, bols chantants, des verres d’eau, des tambourins, des lames de bambous, etc. D’autres font intervenir les cordes vocales : chorales, les incantations, les mantras, les chants liturgiques.

Celle qui nous intéresse plus particulièrement s’intitule les « Six sons thérapeutiques », en chinois : « Liu zi zhi yin, 六字直音 », littéralement : « Six caractères et sons corrects ». On y fait intervenir les cordes vocales, mais ce ne sont pas des sons chantés, ni des incantations, ni des mantras. Ce sont simplement des manières de faire vibrer les cordes vocales, grâce à une disposition du tractus vocal, des lèvres, de la langue, des muscles du visage. Le son émis ne doit pas être beau, ni long, ni fort, mais il doit être diriger vers l’intérieur pour entrer en résonance avec la sphère organique correspondante.

Les « Six sons thérapeutiques » constituent un ensemble d’exercices qui comme toutes les pratiques de Qigong combinent respiration (+ son à l’expir), mouvement et visualisation. Le but des sons taoïstes est de mettre en résonance un son particulier avec les vibrations naturelles de chacune de nos sphères organiques ou de projeter le son correspondant vers la sphère en détresse, afin que la sphère retrouve son état vibratoire naturel.

Pour la médecine chinoise, il existe cinq sphères organiques : Rein, Foie, Coeur, Poumon et Rate. Les Taoïstes ont dessiné une carte routière nous indiquant le chemin à suivre pour ne pas nous perdre durant ce voyage vers l’interne. Il s’agit du « Neijingtu, 内径图 », ou « carte du paysage intérieur » sur laquelle chaque entité organique est inclue dans un paysage de montagne. Pour les chinois, la montagne est l’idéal de la nature. Pendant qu’on émet le son, le regard intérieur est dirigé vers la sphère correspondante, comme pour lui indiquer la route. Cette visualisation, ou conscientisation du trajet du son et de la cible, est très importante si on veut arriver à un résultat thérapeutique.

On parle de « sphères ou entités » organiques parce qu’il ne s’agit pas uniquement des deux reins ou du foie au niveau anatomique ou physiologique, mais en plus de leur anatomie et de leur physiologie, cela sous-entend d’autres correspondances naturelles : des mises en résonance entre la sphère et un tissus, un organe des sens, un viscère, un état psychique, et même une certaine connivence avec l’environnement. Pour chaque entité un système de correspondance est établi de cette manière…

A chaque entité correspond un son particulier ayant une fréquence susceptible d’entrer en résonance avec l’entité organique. En pratiquant le son, on évacue l’élément qui gêne l’évolution.

Par exemple, si on se sent freiné par une angoisse de perte (d’un travail, d’une maison, d’un amour, d’un enfant, etc.), on perd sa libido, des fois on se coince même le dos, plus moyen d’avancer, on choisit le son du Rein : pfff, un son presque inaudible qui ressemble au souffle dans une flûte ou une bouteille et que l’on ressent comme une source qui jaillit des profondeurs de l’abdomen.

Si on est plein de colère, de ressentiments, de frustrations, on perd sa labilité, sa curiosité, son imagination, attention aux raideurs de la nuque et du bassin ; on choisit le son du Foie : xuuuu, une bouilloire qui siffle au coin du feu, on sent vibrer les côtes, où passent les méridiens Foie-Vb.

Si on se sent « trop dans sa tête », avec une sensation d’énervement, on perd le plaisir de la communication, on n’en dort plus ; on choisit le son du coeur : heeee, comme des mantras dans la montagne et on sent vibrer le plexus cardiaque.

Si on devient mélancolique, renfermé, triste, les défenses immunitaires et psychiques se fragilisent, le rhume ou la grippe ne sont pas loin ; on choisit le son poumon : zhiiiii, comme le bourdonnement d’une ruche qui fait vibrer le haut de la cage thoracique

Et quand on rumine, qu’on tourne en rond sur ses obsessions, la digestion s’alourdit, la concentration diminue, on choisit le son de la rate : huuu, comme le vent sous la porte du grenier, on le sent vibrer au niveau épigastrique.

Comment se déroule une séance de sons thérapeutiques :
-on démarre avec une pratique de « anjing jingshen, 安静精神, apaiser le corps-esprit », pour la détente générale, avec une attention particulière aux organes des sens, à la colonne cervicale et le tractus vocal
-ensuite en position qigong : respiration et visualisation de la sphère et du son correspondant
-inspir en trois temps sur un mouvement intitulé « rejeter l’ancien et prendre le nouveau », puis expirer le son, fin de l’expir, compression du Dantian, serrer le périnée
-en général, on termine une séance des sons thérapeutiques par le son harmonisant les sons précédents, celui du Triple Réchauffeur qui, parce que plus retenu et plus long, amplifie les facultés du système neurovégétatif ; à l’inspir, on amplifie l’éveil, la vigilance, à l’expir on amplifie la détente, le relâchement : « yi yin yi yang zhi wei dao »

Cette pratique des Six sons thérapeutiques nous vient des Wudangshan, montagnes taoïstes et berceau des arts martiaux internes, situés dans la province du Hubei. Plus particulièrement d’un maître des Wudang, Tianliyang, de la 15ème génération de maîtres dans les Wudang, avec qui nous échangeons depuis une dizaine d’années. Il vient une à deux fois par an en Europe : en Belgique, en Allemagne et en France pour nous enseigner quelques arts martiaux internes, e.a. le Taijiquan et des pratiques des Qigong développées par les maîtres taoïstes, dont les « Six sons thérapeutiques ». Des élèves d’ici vont aussi chez lui dans son école des Wudang pour se spécialiser. Plusieurs élèves de notre petite association Tian-Di, ont déjà été chez lui, en individuels ou en groupe.

Nous avons aussi ouvert des cours hebdomadaires et des stages de Qigong (incluant les « Six sons »), et de Taijiquan des Wudang, en Belgique. Pour le moment, nous sommes trois à enseigner ces pratiques : Fabienne Lacroix, sinologue, interprète de Tianliyang quand il vient en Belgique et en France, Anne Weis qui enseigne différentes formes de Taiji depuis des années et moi-même, biologiste spécialisée en mtc en Chine où j’ai étudié durant trois années. Vous aurez l’occasion de nous rencontrer durant les ateliers organisés durant la semaine du son, auxquels vous êtes conviés !

Je termine en remerciant les organisateurs de la semaine du son de nous avoir invité à partager avec vous quelques moments agréables de mise en résonance de nos ondes respectives.

www.tiandi.be

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