Hommage au sinologue Léon Vandermeersch, spécialiste du confucianisme

par Monique Lauret , psychanalyste, le 22 octobre 2021

Grand spécialiste de la culture de la Chine ancienne et de l’Asie sinisée, Léon Vandermeersch est mort à l’âge de 93 ans dans la nuit du 16 au 17 octobre à l’hôpital Cochin à Paris, dans un silence quasi général de la presse française. Chercheur polyvalent à l’esprit profondément humaniste, le sinologue français a ouvert et sensibilisé des générations d’étudiants et de chercheurs à cet esprit de l’ailleurs nécessaire à penser la vie en communauté, la vie tout simplement. La psychanalyste Monique Lauret lui rend hommage.

 

Le sinologue Léon Vandermeersch au Musée Guimet, à Paris en 2013. (Source : YouTube / Musée Guimet)
Le sinologue Léon Vandermeersch au Musée Guimet, à Paris en 2013. (Source : YouTube / Musée Guimet)

 

Né à Werwick-Sud (Nord de la France) en 1928, Léon Vandermeersch obtient un diplôme de chinois à l’INALCO en 1948, puis de vietnamien en 1950, avant d’être diplômé de philosophie en droit à la Faculté des lettres de Paris en 1951. D’abord professeur à l’Université d’Aix-en-Provence où il crée l’enseignement de chinois, il intègre ensuite l’Université Paris VII, dont il dirige l’UER d’Asie Orientale de 1973 à 1979. Par la suite, il est nommé directeur d’études à l’École pratique de hautes études où il enseigne l’histoire du confucianisme. Par ailleurs, il est détaché pour diriger la maison franco-japonaise de Tokyo de 1981 à 1984, avant de devenir directeur de l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) de 1989 jusqu’à sa retraite, en 1993.

Ce chercheur polyvalent à l’esprit profondément humaniste a ouvert et sensibilisé des générations d’étudiants et de chercheurs à cet esprit de l’ailleurs nécessaire à penser la vie en communauté, la vie tout simplement. Au cours du premier millénaire avant notre ère, la pensée chinoise au cours des périodes des « Printemps et Automnes » (-771 à -481/-453 av. J.-C.) et des « Royaumes combattants » (Vème siècle à -221 av. J.-C.), se révèle d’une richesse, d’une originalité et d’une profondeur extraordinaire que Léon Vandermeersch a exploré tout au long de sa carrière. Ces quelques siècles se sont caractérisés par le début de l’histoire écrite, le dépassement de la divination par la réflexion, le développement d’une vision mythique du monde et l’apparition d’enseignements privés, dont Confucius fût le premier représentant, coexistant avec l’enseignement officiel.

Léon Vandermeersch a montré dans ses travaux et son livre Les deux raisons de la pensée chinoise : divination et idéographie (Gallimard, 2013), que la finalité de l’écriture chinoise n’a pas été d’abord la communication, mais plutôt une forme de symbolisation, accompagnant les grands progrès de la civilisation protochinoise à la fin du néolithique. Il s’agissait de présenter un « algorithme » destiné à une utilisation rituelle et religieuse. Confucius s’est arrogé la responsabilité de réviser et reprendre tout le patrimoine scripturaire constitutionnel de la civilisation des Zhou (-1122 à -256 av. J.-C.).

 

Éthique de la condition humaine

Léon Vandermeersch a puisé dans la pensée antique chinoise, et notamment dans le formidable travail civilisationnel de Confucius, les valeurs éthiques de la condition humaine, dans une responsabilité individuelle que la psychanalyse interroge quant au désir. « À chaque personne incombe le devoir de se situer dans cette trame de relations en conformité avec sa condition humaine, sa position sociale et sa responsabilité politique », écrivait-il dans son livre Sagesses chinoises (Flammarion, 1997, cosigné avec Jean de Miribel.

Dans l’allégorie du Rêve du papillon, où le penseur taoïste Zhuang Zi se rêvant en papillon ne sait plus au réveil s’il est le papillon ou lui-même, Leon Vandermeersch voyait dans cette réversibilité du rêve, l’indicible indifférenciation ontologique qui efface l’opposition de l’être au non être. L’allégorie taoïste, comme l’allégorie platonicienne, signifie par un détour ce que la transcendance a d’indicible, du côté de l’invisible. Ce qui a permis à Vandermeersch de critiquer subtilement Lacan en usant de la parabole du poète.

Certains sages montrant la lune de leur index ne voient pas plus loin que le bout de leur doigt. La transcendance dans la pensée chinoise n’est pas l’idée d’un monde situé au-dessus des hommes et qu’habiteraient des esprits manipulant les éléments naturels. Elle est plutôt entendue comme transcendance de la norme par rapport à ce qui lui est soumis, du principe originel par rapport aux dix mille êtres qui en procèdent, écrivait-il aussi dans son livre majeur Wangdao ou La Voie royale, Recherches sur l’esprit des institutions de la Chine archaïque (EFEO, 1980, puis You Feng, 2009). Cet ouvrage publié en deux volumes à la suite de sa thèse d’État est consacré aux fondements des antiques civilisations Shang et Zhou.

Dans son dernier essai, Ce que la Chine nous apprend – Sur le langage, la société, l’existence (Gallimard, 2019), Leon Vandermeersch nous lègue en vision testamentaire tout l’intérêt à aller puiser dans cette civilisation autre les ressources nécessaires à penser l’humain en l’homme.

 

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