Trois en un

"L'être humain naît avec des sandales de bouddhiste, il grandit avec le pinceau du confucianiste et il vieillit en s'appuyant sur la cane du taoïste": belle expression chinoise qui résume à la fois l'idée qu'en chaque être humain coexistent plusieurs modes d'être, de penser, de vivre, et l'idée d'une possible progression de l'être humain.

La coexistence de plusieurs tendances au sein d'une personne peut être vécue de manière harmonieuse. En Chine, il est fréquent de rencontrer des personnes qui sont à la fois bouddhiste, taoïste et confucianiste. Cette vie en commun n'est pas ressentie comme un tiraillement qui prête à de douloureuses contradictions. Elle est juste, efficace, pratique: certains moments exigent le sérieux et la rigueur confucianistes, d'autres moments élèvent l'âme vers un « ultime » compris comme « réalité unique », et d'autres encore font la part des choses et sur notre « dao » intérieur, on prend plaisir à croquer une pomme en contemplant le brouillard se lever sur la montagne.

« Naître avec les sandales du bouddhiste » est un atout. Les sandales prêtent à la marche, à la découverte de terres inconnues, à aller voir au-delà de l'apparence, à s'ouvrir à la pensée de l'au-delà. C'est le propre du jeune âge, de l'enfance et de l'adolescence, quand on a tout à découvrir, tout à apprendre et, qu'en même temps, on est persuadé de déjà tout savoir. Cette illumination quasi mystique apporte une certaine arrogance au fou juvénile. Sans elle, le jeune n'oserait pas avancer ou se lancer dans sa « grande aventure ». Il se nourrit de doses d'impertinence, de foi en ce qu'il projette et, plus l'époque est difficile, plus intense est ce besoin de foi aveugle.

Puis vient l'âge adulte, l'âge de l'étude, de la réflexion, de la mise à distance. C'est une époque d'engagement, c'est l'âge de s'investir dans l'ordre public. C'est en prenant part à la société qu'elle nous donne une place, une identité, un contour que l'on rend plus ou moins perméable. L'apprentissage de l'autre pour apprendre à se connaître soi-même, se reconnaître soi-même pour s'ouvrir à l'autre. L'être humain s'élève, s'érige, se construit quand il se place en relation avec l'autre, le différent, l'altérité. C'est l'âge de l'identité par l'altérité.

Le troisième et quatrième âge, celui où la canne s'avère indispensable est une époque d’accomplissement des deux premiers. Le lien se fait de manière presque spontanée entre une spiritualité où l'âme a cru devoir s'élever et une « concrétude » politique et sociale qui semblait ne jamais pouvoir s'élever. Le lien entre invisible et visible se fait tangible, le passage de l'un à l'autre est aisé. L'esprit s'achemine vers le corps, le corps rejoint l'esprit. La fluidité et la souplesse entre matière physique et matière quantique sont immédiat, elles ne sont plus à chercher, elles sont une évidence.

Elisabeth

12-11-2020