Une visite chez le psy ou une séance de taijiquan?

L’Occident a commencé à s’intéresser à la psychosomatique il y a peu. Il n’est d’ailleurs pas encore clair si cette science nouvelle va s’approfondir par le biais de la médecine ou de la psychologie, tant il est vrai que l’Occident reste marqué par la dualité corps-esprit. Freud fut l’initiateur de questions nouvelles et, même si de multiples écoles et courants se sont créés à sa suite ou en contradiction avec lui, la psychosomatique occidentale n’en est qu’à ses débuts.

Pour la médecine chinoise, parler de « psychosomatique », c'est un pléonasme. En langue chinoise, pas de distinction entre corps (matière) et esprit (âme). Il n’existe d'ailleurs pas de mot en chinois pouvant rendre ce que l’Occident entend par « âme ». Et à l’inverse, il n’existe pas de mots, en langues occidentales, pouvant rendre ce que signifie « Shen ». Pour la MTC, l'expression psychique est un mode d'expression des organes, des viscères, des méridiens, du sang, de la mouvance et des transformations du Qi.

Est-ce dire que la MTC est plus apte à traiter et à soigner nos déviances psychiques? Est-ce dire que la population chinoise en est moins atteinte? Ce serait faire des raccourcis qui ne correspondent pas à la réalité. Mais la MTC, grâce à son approche différente de l’être humain, représente pour l’Occident un énorme terrain d’investigation. La physiopathologie proposée par la MTC permet d’expliquer de multiples symptômes taxés chez nous de «psychosomatiques », ses différentes méthodes thérapeutiques proposent des traitement pour les maux de dos, migraines, ulcères, syndrome prémenstruel, névralgies, diarrhées chroniques, asthmes allergiques, eczéma, etc.

La première interrogation de la psychosomatique occidentale est : « quelle fonction a la maladie pour ce patient, à quoi lui sert-elle ? ». La médecine chinoise ne se pose pas ce genre de questions, ce qui peut paraître une lacune pour ceux qui pensent que les maux sont utiles. En effet, la psychosomatique prétend que, dans certains cas, nous enlever ces maux revient à nous ôter une de nos défenses contre l’angoisse. Pour elle, nous préférons parfois conserver des douleurs physiques plutôt que remettre en question certains problèmes de vie qui risquent d’ouvrir le « robinet de l’angoisse ».  La MTC peut-elle dans ce cas être un recours ?

L’être humain a des ressources étonnantes : si la MTC se propose de traiter une lombalgie chronique, il est possible que la douleur se déplace et devienne, par exemple, des algies cervicales. Que fera la MTC? Traiter les algies cervicales? La douleur s’installera ensuite dans les épaules, etc. Peut-on éliminer l’angoisse en traitant une épaule, un dos, une nuque? Si l’angoisse persiste, tel que tend à le montrer le déplacement des douleurs, la MTC en viendra à stimuler les fonctions de l’Organe Rein, dénouera celles du Foie, ou tonifiera celles de la Rate, suivant les expressions que prend l’angoisse.

Mais que fera-t-elle devant le cas d’une femme qui, par abus de pouvoir du père, « rate sa vie », ne trouve pas de conjoint désirable, se sent bloquée dans son évolution et, finalement, aboutit chez l’acupuncteur en se plaignant  de lombalgie chronique, de lourdeur dans les jambes, de diarrhées chroniques et de fatigue permanente?

La psychanalyse s’est attachée à chercher les causes de l’angoisse. Elle est, sur ce plan, à l’avant-garde des sciences psychologiques occidentales. Dans le cas de cette patiente « bloquée », la psychanalyse lui propose de revivre ses émotions vis-à-vis du père, émotions qui l’ont marquée durant l’enfance au point de l’avoir forgée. En revivant cette situation de mutuelle dépendance, elle comprendra ce qui la bloque dans sa vie d’adulte. La conscientisation est une voie vers un changement d’attitude, de comportement. Est-ce pour autant que les lombalgies chroniques vont miraculeusement disparaître? Étant chroniques, elles se sont installées à long terme. Elles ont eu le temps de déséquilibrer les fonctions de l’Organe Rein et ce déséquilibre peut s’être déjà propagé à d’autres sphères organiques. Que fera la psychanalyse dans ce cas? La MTC prend la relève et cette fois, la stimulation des fonctions Rein s’avérera sans doute efficace sans qu’il y ait un déplacement des douleurs vers d’autres régions du corps.

Cela veut-il dire que, souffrant de céphalées, il faut d’abord courir chez le psychanalyste puis faire appel aux traitements proposés par la MTC? Encore faudrait-il que les céphalées soient une « réelle souffrance ». Mais qu’est-ce qu’une réelle souffrance? Comment faire la distinction entre une souffrance qui nécessite un traitement psychanalytique et une souffrance pour laquelle un traitement de MTC peut être suffisant? Certaines pistes sont assez claires. Outre les déplacements des douleurs et les symptômes « intraitables » (qui ne réagissent à aucun traitement), il y a encore une phraséologie typique utilisée inconsciemment par le patient, mais qui est extrêmement parlante:

« je ne l’avale pas » à maux de gorge

« je ne le digère pas » à douleurs gastriques

« je prends sur moi » à pathologie de la peau

« cela me paralyse » à lombalgies

« je ne parviens plus à y penser » à céphalées

« je suis à bout de souffle » à dyspnées, etc.

Ce genre de phrases, lorsqu’elles reviennent répétitivement et de manière inconsciente dans le langage du patient, peuvent constituer un indice supplémentaire montrant que les symptômes ont une origine psychique.

Le questionnement du médecin lors des consultations médicales devrait aboutir à une conclusion quant à l’implication du psychisme dans les symptômes développés. Ce serait au médecin généraliste (ou autre, d’ailleurs) de déceler si le patient nécessite une assistance psychique. Une piste est de déterminer si l’histoire personnelle du patient présente une succession de situations similaires dans lesquelles le patient tourne en rond, sans rien pouvoir y changer. Le médecin peut alors suspecter un comportement compulsif, c’est à dire, des attitudes de vie ou des choix posés dans le quotidien qui amènent la personne à revivre sans cesse une situation conflictuelle passée. Dans son lointain passé, la personne n’a pas pris conscience ou n’a pas pu prendre conscience d'un conflit, car à ce moment-là le conscient n’était pas prêt à l’affronter. Cette situation conflictuelle a été refoulée dans l’inconscient où elle œuvre en silence tant que rien ne vient la perturber, mais d’où elle resurgit dès qu’une situation similaire vient la réveiller. Si, à ce moment-là, la situation conflictuelle n’est pas éclaircie, le patient s’engage dans des comportements compulsifs, des comportements qui le ramènent inlassablement au même problème, avec une impression de tourner en rond, de ne plus pouvoir avancer, et à la longue, que plus rien ne sert à rien. L’inconscient agit de manière têtue et semble miner la personne « de l’intérieur ». Mais en réalité, cet inlassable retour à la même situation est une tentative inconsciente de résoudre le problème.

La MTC est susceptible d’apporter un soutien au patient engagé dans une procédure psychanalytique, de lui donner une force suffisante pour pouvoir « encaisser » la psychanalyse et passer les « caps psychanalytiques ». En effet, il est fréquent que, durant une analyse, le patient développe toutes sortes de symptômes nouveaux qui sont l’expression d’un bouleversement intérieur important et qui transforment rapidement son tableau pathologique.

Il arrive aussi fréquemment qu'un patient engagé dans une thérapie en médecine chinoise soit bouleversé et se pose des questions nouvelles, comme s'il ouvrait un pan de sa vie jusque là inconnu ou occulté. Il se sentira stimulé à dénouer des entrelacs psychiques remontant de son passé, voire de ses ancêtres. Ce que propose la médecine chinoise à ces patients est un retour à soi, non pas par la voie psychanalytique, mais par un retour aux ressources du corps, tant il est vrai que c'est en nos cellules et en nos organes que sont écrits nos joies et nos peines. Ce sont également nos cellules et nos organes qui vont pouvoir dénouer nos traumatismes. D'où le bienfait pour ces patients, et pour tout un chacun, des pratiques taoïstes de santé comme le Qigong ou le Taijiquan combinant la respiration, la conscience et le mouvement.

 Elisabeth Martens, le 16 juin 2010